Voyage dans le temps en guise d'adieu au Laos

Publié le par Elo

Voyage dans le temps en guise d'adieu au Laos

Après ce tour à la Boulange, excellente boulangerie tenue pas un français à Paksé, nous filons vers le plateau des Bolovens. On peut y faire une boucle mais comme nous devons rejoindre la frontière vietnamienne dans deux jours, à expiration de nos visas, on va faire plus court. On n'a toujours pas décidé quelle frontière on allait passer. Le Consulat d'Ho Chi Minh nous conseille Lao Bao mais c'est vraiment plus au nord. Nous nous dirigeons plutôt vers Bo Y, petite frontière très peu fréquentée par les étrangers.

 

On retrouve nos copains Manu et Albane à Tad Lo. Ils sont bien plus réactifs que nous et ont déjà fait le tour des cascades alors que nous préparons à peine nos sandwichs. Ils décident d'aller visiter une autre cascade un peu plus loin où nous les rejoignons. Nous allons jusqu'en haut de la cascade. Il y a peu d'eau à cette époque mais la vue est magnifique et c'est quand même impressionnant.

 

Par contre, le temps de trouver le chemin pour descendre, il est trop tard. La nuit ne va pas tarder à tomber et le sentier est raide. On se rabat donc sur un resto à Tad Lo, tenu par un français. La cuisine est délicieuse. On apprécie tous, sauf Vincent, malade pour l'occasion. Dommage !! Les enfants trouvent une bande d'enfants français et s'amusent avec des poneys. On retrouve un couple rencontré à Champassak. Un ancien fonctionnaire “domicilié” à La Réunion mais qui n'apprécie pas trop l'île... Ils ne connaissent que La Montagne et St Gilles mais s'y font “domiciliés” comme beaucoup de fonctionnaires retraités !! c'est pratique, on peut choisir “son” DOM en fonction du niveau d'indexation proposé. Une forme de retraite dorée fort aliénante, ils sont obligés de mettre les pieds de temps en temps sur une île qui leur est désagréable. Pour compléter cette “petite” retraite, ils cherchent depuis un an un pays en Asie pour ouvrir une petite guest house... Vincent, qui a toujours aussi peu de principes, et étant lui-même fonctionnaire à La Réunion, a tout de même sympathisé avec eux. Je leur ai quand même glissé qu'il existait une vie à La Réunion en-dehors de St Gilles et Boucan Canot. Pas toujours facile de bien lire une carte !! Bref, ils connaissent quand même très bien l'Asie et nous conseillent un village pas loin d'ici pour le lendemain. Le matin après un réveil au bruit des cascades et un virée entourée d'enfants, nous voilà partis pour le village de l'ethnie Kalim du Cap'tain Hook (officiellement Katu car le gouvernement voudrait réduire les 124 ethnies du Laos à 3groupes seulement par simplification...). Et c'est vrai que nous passons un moment totalement hors du temps, étonnant dans une plantation de café pas comme les autres.

 

Le village ne ressemble à aucun autre que nous ayons vu ailleurs au Laos. Franchement, dès le début, une grande pauvreté s'en dégage. Les enfants sont plein de poussières et ont un air sauvage que nous n'avions pas vu avant. Aux abords du village, il y a un marché pratiquement désert où quelques femmes aux yeux vides essayent de vendre leurs pauvres récoltes. Nos copains Manu et Albane nous racontent que, à peine arrivés, ils ont ouvert la port de leur camion pour faire sortir les filles. Aussitôt 3 enfants ont sauté dedans... les enfants sont souvent curieux de nos véhicules mais ils demandent toujours la permission pour entrer ou quand quelque chose leur fait envie. Là les enfants se sont jetés sur un paquet de biscuit ouvert qui traînait et se sont mis à se battre entre eux, à se rouler par terre et impossible de les séparer. C'est bien la première fois qu'on nous raconte une telle mésaventure.

Comme la prochaine visite a lieu une heure plus tard, nous décidons d'aller nous promener dans le village côté bord de route et un petit sentier. Nous sommes surpris de voir les femmes s'arrêter toutes les 2 minutes pour fumer au bang, avec leur lourd chargement sur la tête ou les épaules. Ce sont en général les hommes que nous voyons fumer.

Nous nous rendons alors au village du Capt'ain Hook. En attendant la visite des plantations de café, on en déguste un, coulé dans un bambou sous une maison sur pilotis. On peut observer la vie aux alentours. Ici, les enfants fument le bang aussi, un mélange de tabac, eau et sucre de canne. Mais, nous ne sommes qu'au tout début de nos découvertes. Tout au long de la visite, nous en apprenons plus sur les coutumes et traditions de ce village animiste. Animiste, c'est à dire que tous les habitants croient en une force vitale qui habite chaque être vivant, chaque objet et chaque élément naturel (feu, eau, air...). Les âmes ou esprits myhtiques, manifestations des morts ou de divinités animales, peuvent agir sur le monde et le déroulement des choses de manière bénéfique ou pas... Il convient donc de leur vouer un culte et de respecter certaines pratiques pour attirer le bénéfique. Dans le village, chaque décision doit être prise en présence du gourou ou du chaman qui invoquent les esprits les soirs de pleine lune pour en tirer une réponse. Il y a une forêt où vivent les esprits et où persone ne peut aller.

 

 

M. Hook parle très bien anglais et c'est le seul dans ce village où les gens ne parlent pas Lao mais un dialecte propre à leur ethnie. C'est là que nous comprenons pourquoi personne ne répondait à nos Sabaïdee répétitifs !!

Pour commencer, il nous montre les plantations de tabac et nous explique que, dans son village, tout le monde fume à partir de l'âge de 3 ans à cause d'une légende qu'on se transmet de génération en génération.

Il ya très longtemps de celà, le village devait sacrifier chaque année un être vivant pour satisfaire les esprits de la forêt qui gouvernent ce monde. Cette année là, c'était le tour d'une famille qui avait pour seul enfant une fillette douce et calme. Elle semblait résignée mais les parents voyaient ce jour funeste arrivé avec frayeur. C'est alors qu'ils rencontrèrent sur le chemin du village, un vieil homme qu'aucun autre village n'avait voulu accueillir. Ce vieil homme, tout en fumant sa pipe leur raconta son histoire. Les parents, rongés par le malheur n'y pretêrent qu'une vague attention, chacun de son côté ayant vu surgir au fond de son esprit la même idée, lancinante, attirante et honteuse. Sans se concerter, ils acceptèrent d'accueillir le vieil homme chez eux dans l'unique dessin de remplacer le sacrifice de leur fille par celui de cet inconnu rejetté par tous. Le vieil homme, quand il eut connaissance de sa mort prochaine, ne put qu'accepter son sort comme en remerciement pour les quelques jours passés sous leur toit. Cependant, il émit le souhait de fumer sa pipe une dernière fois pendant le sacrifice. Au moment où les esprits arrivèrent et alors qu'ils allaient se saisir de lui son corps se transforma en une nuée de moustiques aussitôt chassés par la fumée de la pipe. Les esprits à leur tour prirent peur et s'enfuirent. A la place du vieil homme, il ne restait plus qu'une pipe fumante. C'est depuis ce jour que les villageois fument dès leur plus jeune âge, persuadés de se protéger ainsi à la fois des esprits vengeurs de la forêt et des moustiques venus, eux aussi venger la mort du vieil homme que les leurs ont rejetés.

 

Le Captain Hook nous a expliqué que pour les villageois ces croyances avaient plus de poids que n'importe quel conseil médical. En la matière, ils utilisent de toutes façons des plantes, ou des insectes trouvés aux alentours. Les fourmis rouges servent même de déodorants ou d'en cas. A attraper avec les doigts et à croquer directement sur l'arbre. Personne ne va chez le médecin, on s'adresse au chaman. A chaque maux, il existe un remède. Si on veut faire appel à la médecine, il faut son autorisation mais, en fait, on ne l'obtient pas.

 

Chasse à la fourmi

 

Goût de la fourmi rouge!

La magie blanche est utilisée pour attirer le bien tandis que la magie noire sert à jeter de mauvais sorts sur les personnes. Lui-même en serait victime. Sa situation dans le village est pour le moins compliquée. Il a une situation à part. En effet, la tradition veut que l'on se marie très jeune, à partir de 8 ans environ, sachant que les gens ne connaissent pas vraiment leur âge. Ils ne fonctionnent pas avec le calendrier mais avec la saison : saison des mangues, saison des chiots... Les hommes sont polygames sans limitation du nombre de leur épouse. La famille vit sous un seul toit, l'homme marié en étant le pilier. Les familles vivent ensemble tant que le dernier patriarche est encore en vie. A sa mort, les partages sont donc compliqués. Plus un homme a de femmes, moins il travaille puisque ce sont elles qui font tout. Pas de problème d'âges dans ces unions, une fillette peut être marié à un homme âgé. Lors de notre visite, la plus grande famille comprenait 96 membres vivant tous dans la même maison pas forcément très grande d'ailleurs. A l'intérieur, il n'y a la place que pour dormir, seules les femmes ont un tapis de sol pour la nuit. On dort côte à côte. Le reste de la vie a lieu dehors, sous les maisons en pilotis. Ce sont les parents qui choisissent le premier maraige. Ainsi, à 8 ans, les parents du Captain Hook ont voulu le marier. Il a refusé, préférant aller à l'école. A 13 ans, ils ont à nouveau voulu le marier mais il a encore refusé. Il est finalement parti plusieurs années en Thaïlande où il a découvert le monde et remis en question toutes les croyances et traditions qu'on lui avait transmises. Il est revenu dans son village à 21 ans, et là, il n'a pu échapper une nouvelle fois au mariage. Ses parents sont de fervents animistes et la pression du village était trop forte. S'il avait encore refusé, sa famille entière aurait été bannie. Le problème est que pour un premier mariage, les 2 époux doivent être vierges. Le gourou a alors organisé une cérémonie pour vérifier si la condition était respectée. Lorsqu'il a planté le couteau dans le riz, celui-ci est resté droit ce qui signifie qu'il n'est plus vierge. Il a nié alors le gourou a proposé une seconde vérification. Le Captain Hook aurait dû boire le sang d'animaux sacrifiés mélangés à de l'eau sale, boisson à laquelle il ne devait survivre que s'il était pur. Son père a pris peur et a préféré payer pour lui. Lorsqu'il est mort quelques années plus tard, les villageois ont estimé que la faute en incombait au Captain Hook et aux mauvais esprits pesants sur lui. Il n'a donc plus le droit de sortir seul du village, pour éviter toute tentation, et n'a plus le droit de rentrer dans aucune autre maison du village.

 

Les villageois, eux, ne sortent pas du village. Ils vivent en autosubsistance, vendent un peu de café et font payer l'entrée du village. L'accueil d'étranger par le Captain Hook est vu d'un mauvais œil. Les habitants du villages n'aiment pas les blancs. Ils pensent qu'ils ne travaillent jamais, normal puisqu'ils les voient toujours en vacances et que c'est la raison pour laquelle ils ont la peau blanche. Ils pensent que les cheveux blonds sont dûs à une forte consommation de lait tandis que la couleur de nos yeux dépend des sodas que nous buvons (oui, certains sodas sont bleus ou verts...). Notre nez est long parce que nous mangeons du pain à la place du riz. Ils pensent que les noirs travaillent à longueur de temps pour les blancs ce qui explique leur couleur de peau. Ils pensent aussi que la terre est plate. Là dessus, Captain Hook nous a expliqué qu'il lui avait fallu un certain temps avant d'accepter la vérité. Dans le village, on a réponse à tout et on ne veut rien entendre qui vient de l'extérieur, aussi, enfants, personne ne répondait aux questions qu'il se posait par rapport à ce qu'on lui apprenait à l'école. Si on dit certaines choses, on attire les mauvais esprits. Ce qui vient de l'extérieur est dangereux ce qui fait que ces croyances perdurent.

 

Il y en a d'autres encore liées aux esprits et à la forêt. On y enterre les morts pour éloigner les mauvais esprits, aidés de sacrifices animaux, mais on y vit aussi. Si une personne meurt de façon accidentelle, sa famille doit aller vivre pendant 5 ans dans la forêt pour éloigner les mauvais esprits. De même les femmes, quelques semaines avant d'accoucher doivent aller vivre dans la forêt où elles accoucheront seule. Elles reviennent au village quelques jours après et doivent alors être purifiées lors d'une cérémonie organisée par le gourou. Pour cela, elle traversent une sorte de “mur” de feu. Il faut ensuite déterminer si le bébé est bon ou mauvais auquel cas il doit être laissé dans la forêt. Il paraît que cela n'arrive jamais...

A la nuit de pleine lune suivante, les parents doivent venir raconter leurs rêves au gourou. Si celui ci est bon, il le retranscrit sous la forme d'un nom qui sera celui du bébé. Sinon, ils doivent revenir à chaque pleine lune jusqu'à ce que leurs rêves soient bons. Ainsi, un bébé peut rester assez longtemps sans prénom.

Parmi les cérémonies, il en est une particulière : celle du chien. Certains soirs de pleine lune, le gourou attache un chien a un piquet. Tous ceux qui passent viennent lui mettre un coups de pieds pour lui transmettre leurs mauvais esprits, et ce, jusqu'à ce que mort s'ensuive. La dépouille de l'animal est jeté dans la forêt pour éloigner les mauvais esprits restés dans son corps.

 

Au milieu de tout ça, nous avons découvert un certain nombre de plantes et leurs vertus ; la plante à bulle (notre préférée), la plante à teinture, la plante à flèche de chasse, la plante qui permet de siffler pour appeler son aimée dans la nuit sans que son père puisse découvrir qui l'on est... Nous avons aussi visiter la plantation de café et les explications du Captain Hook étaient vraiment passionnantes : sur les origines du café, les différentes espèces et toutes les utilisations possibles des grains de café. Ainsi, au Laos, les français ont exporté le fameux café bourbon de La Réunion. Là-bas, les villageois le vendent 60000 kips (soit environ 6 euros) le sac de 10/15 kilos. Comme je sais que tous les habitants de La Réunion qui nous suivent sont de grands spécialistes du café je m'arrêterai là !

Après ça, nous errons encore un peu sur le plateau des Bolovens entre cascades et villages et nous prenons finalement la décision de rejoindre la frontière de Lao Bao plus au Nord : il nous reste une journée et 600 km à parcourir. Enfin, c'est ce qu'il resterait si nous choisissions de prendre les grands axes c'est à dire de repasser par Paksé. C'est bien sûr mal nous connaître et nous optons donc pour la toute petite piste au fin fond du Laos qui réduit le trajet à environ 180 km. Pari risqué certes mais ça nous connaît !!

On s'engage donc sur la piste qui annonce la couleur dès le début : une vraie piste en terre au milieu de nul part. Franchement, c'est une des plus belles routes que nous ayons fait : sauvage, silencieuse, attirante. Nous avons donc parcouri quelques 50 kms ponctué par des descentes de Camigéon pour aller vérifier que le pont devant nous était assez solide, la barre assez haute. Pour la première fois sur cette piste, un groupe d'ado s'est enfui en me voyant descendre du monstre fumant qu'est le Camigéon : trop de jours sans douches ? Ma tenue affligeante ? Ma monture vieillote ? Ma couleur de peau inconnue ? Je ne saurai jamais mais ça fait quand même un drôle d'effet. Plus j'approchais pour montrer que malgré les apparences, je suis plutôt gentille et plus ils reculaient... jusqu'à s'enfuir en courant. Bon. Faudra que je revoie ma technique d'approche. En tout cas, c'est vrai que, encore plus qu'ailleurs, le Camigéon intrigue sur cette route. Nous traversons quelques villages puis maps.me indique une route déserte sur plusieurs dizaines de kilomètres. La piste se rétrécit, la terre est moins ferme, les accotements sont inexistants (et c'est là que tu comprends vraiment la signification des panneaux accotements non stabilisés), la jungle est de plus en plus présente et même sur la route... je descends pousser quelques troncs d'arbres et ce qui devait arriver arriva... nous voilà bloqués sur la route par une rivière qui en plus est placée juste dans un tournant assez traître... Absolument impossible de franchir ça avec notre Camigéon qui n'est pas du tout 4*4... Au 2/3 de la route, il nous faut renoncer. C'est donc par la frontière de Bo Y que nous entrerons au Vietnam. Une dernière nuit côté Laos pour repenser à ce pays que nous avons silloné du Nord au Sud avec plaisir. Et c'est sur un vol de Calaos au milieu de la jungle que nous traversons sous une chaleur écrasante que nous lui disons au revoir.

 

Publié dans Laos

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